« L’Événement anthropocène — la Terre, l’Histoire et nous », co-écrit avec Christophe Bonneuil [éd. du Seuil] envisage les questions d’environnement d’un point de vue historique et politique. Parler de l’augmentation du CO2 dans l’air comme seulement liée à la démographie est une façon de dé-politiser la question. Comme si l’émergence de la question climatique, signant notre conscience de ladite, était uniquement du ressort de notre modernité.
Or, les recherches historiques montrent qu’à toutes les époques, les hommes, les groupes sociaux, ont été conscients de l’importance de l’environnement dans leur vie et de l’impact sur icelui des nouveautés techno-scientifiques. Mais les choix que nous contestons aujourd’hui ont été faits par des forces sociales qu’une approche historico-politique permet de documenter.
Par exemple, si les industriels anglais du XIXe siècle ont opté pour le charbon au lieu de l’énergie hydraulique disponible et moins chère, c’est pour des raisons de préservation de leur indépendance et de leur liberté entrepreneuriale face aux solidarités sociales et collectives qu’impliquait l’énergie hydraulique (en effet, pour les barrages et la répartition de l’énergie ainsi produite, la société doit se mettre d’accord entre elle, contrairement à l’usage du charbon).
Si les États-Unis sont passés du charbon au pétrole — plus cher ! — c’est parce que ce dernier, une fois extrait et transformé, coulait tout seul dans les tuyaux, affranchissant ainsi les industriels de la menace que constituait l’existence d’une classe ouvrière importante liée à la chaine du charbon (extraction, transport, distribution…) ; c’était une façon de parer la « menace syndicale ouvrière » qu’impliquait le tout-charbon!
L’évolution techno-scientifique de l’action humaine sur l’environnement à l’échelle de sa globalité planétaire définit ainsi une nouvelle époque « géologique » que Paul Crutzen appelle l’Anthropocène. Le débat est en cours dans les milieux scientifiques quant à sa pertinence, aux preuves objectives de son existence (la révolution industrielle ?) et à la date de son commencement. Mais il est clair en tout cas que cette période est liée à l’émergence du capitalisme industriel. Il faut dès lors penser les questions d’environnement comme reliée aux guerres et aux grands systèmes techniques.
L’émission aborde ces questions qui ouvrent un nouveau paradigme puisqu’on ne peut plus penser le monde, ou l’humanité, ou la relation au monde de l’humanité en termes exclusivement scientifiques, ou historiques, ou politiques. Les phénomènes sont intriqués et leur approche doit être multi-disciplinaires. Dans ce contexte, le concept « d’humanité » perd de sa pertinence puisqu’il escamote les problèmes liés aux forces sociales en présence. De ce point de vue, l’humanité considérée comme un tout, comme un seul bloc, n’existe pas ; et cette idée ne permet pas de comprendre les phénomènes qui nous mobilisent aujourd’hui, elle noie le poisson.
Invité : Jean-Baptiste FRESSOZ, historien, CNRS.